Presse néerlandaise du vendredi 18 novembre 2005
Aggravation de la fracture sociale aux Pays-Bas, opposition du groupe parlementaire VVD aux projets de référendum, suppression pour certaines professions, en 2006, de l’obligation de tenir une comptabilité des kilomètres parcourus et mesures envisagées par le commerce de détail contre les vols : les quotidiens font leurs manchettes sur l’actualité intérieure ce matin.
-NRC Handelsblad d’hier soir : "VNU renonce à une grande reprise aux Etats-Unis", "Le CDA approuve les missiles de croisière pour la marine", "Les Ethiopiens paralysés par la peur"
-Trouw : "Fossé croissant entre pauvres et riches", "La veillée pour les victimes de Schiphol à Nimègue est ’aussi pour Louis’" (commémoration des morts du centre de détention et meurtre du militant Sévèke)
-de Volkskrant : "Le groupe VVD bloque le référendum - Van Aartsen reporte le projet sine die", "Les actionnaires rebelles veulent des sous des entreprises - Les investisseurs préfèrent un dividende à une grande reprise"
-De Telegraaf : "Plus d’enregistrement des trajets fait par fourgonnette - La Chambre : Les travailleurs du bâtiment n’ont pas besoin de compter leurs kilomètres", "Retrait de l’alerte au terrorisme sur le rail"
-AD Haagsche Courant : "Enregistrement des voleurs à l’étalage dans une banque de données - Le commerce de détail ’n’accepte plus la nuisance’"
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NOTRE DOSSIER :Fracture sociale
"Les Pays-Bas deviennent un pays d’extrêmes", écrit le Trouw dans son grand article à la une. "Dans un proche avenir se formera un énorme fossé pratiquement infranchissable entre les défavorisés et les favorisés. C’est ce que dira Jan Latten cet après-midi, dans son discours inaugural Zwanger van segregatie [présages de ségrégation] de professeur de démographie à l’Université d’Amsterdam."
"Latten brosse un avenir dans lequel la ’sélection’ sociale sera de plus en plus fréquente. Par ’sélection’, Latten entend que les gens se choisiront mutuellement sur un pied d’égalité. Ils chercheront encore plus souvent que par le passé un partenaire ayant le même niveau de formation et de revenu. Mais l’origine et surtout la religion prendront aussi davantage d’importance pour le choix d’un partenaire."
"Autrefois, un médecin épousait encore une infirmière, de sorte que l’infirmière pouvait grimper sur l’échelle sociale par le mariage. Mais maintenant que le niveau de formation des femmes a progressé, les citoyens de formation supérieure se marient entre eux et le nombre de ménages à double capital de connaissances croît. Il s’ensuit que les extrêmes de l’échelle sociale deviendront plus visibles dans les années à venir. Autrement dit, les riches deviendront plus riches et les pauvres plus pauvres. Il se formera une société de gens qui ont réussi, d’un côté, et de retardataires de l’autre, selon Latten. Les retardataires seront relativement souvent des allochtones non occidentaux."
"La future élite, essentiellement autochtone, s’isolera des retardataires, par le choix du partenaire, mais aussi du logement, de l’école et des loisirs. On constate d’ores et déjà un ’exode blanc’ du football amateur dans les grandes villes."
"Les pouvoirs publics appliquent une politique contradictoire et inconséquente", affirme Jan Latten dans une interview publiée en page 7 du journal chrétien progressiste. "D’un côté ils veulent s’opposer à la ségrégation, de l’autre ils autorisent les écoles primaires islamiques. De cette façon les élèves sont défavorisés dès l’enfance parce que l’école détermine leurs fréquentations. De plus une culture de responsabilité individuelle règne actuellement, dans laquelle les citoyens favorisés peuvent maîtriser leur propre destin, alors que les défavorisés restent dépendants des pouvoirs publics."
"L’effet de marché dans le secteur du logement croît également. En transformant les logements sociaux en appartements en propriété il se crée un curieux paradoxe, car les moins favorisés se retrouveront tout de même dans les quartiers les moins recherchés. Dans le quartier Haverleij, à Bois-le-Duc, on a déjà construit des ’châteaux’ avec des douves autour, pour l’élite. Et on réfléchit à des villes pour le troisième âge et un village ’indo’. Tout cela favorise la ségrégation, sans qu’on le veuille."
De quoi les Pays-Bas auront-ils l’air en 2020 ? "Si la tendance actuelle se poursuit, les Pays-Bas ressembleront à la Nouvelle-Orléans en 2020. Nous aurons alors une répartition de plus en plus inégale des richesses et la cohésion sociale disparaîtra. La vie civile deviendra alors une coexistence. Nous ne pourrons plus résoudre les problèmes ensemble et la société deviendra froide."
ACTUALITE INTERNATIONALE
Pays-Bas - Afghanistan
"Une nouvelle mission de plus de mille militaires néerlandais dans le Sud de l’Afghanistan est devenue incertaine", rapporte le Trouw (p.6). "Cette mission s’avère très risquée. Le ministre de la Défense Kamp a sur son bureau un rapport du Service de renseignement et de sécurité militaire (MIVD) dans lequel celui-ci esquisse les grands risques que comporte la mission dans la province d’Uruzgan. C’est ce que signalent des sources proches du gouvernement."
"Il est clair que le MIVD esquisse une analyse négative des risques en Uruzgan. Il est possible que Kamp renonce à la mission. Le gouvernement en parlera aujourd’hui et il tranchera peut-être la semaine prochaine."
"Le grand problème du ministre Kamp est qu’il ne peut pas envoyer des hélicoptères de transport Chinook néerlandais, parce qu’il manque de personnel et que ces hélicoptères doivent être révisés. Un autre problème est que la Défense n’a pas encore réussi à conclure un accord sur le prêt d’hélicoptères de transport australiens. En effet, les Australiens en ont besoin eux-mêmes. Le gouvernement est par ailleurs toujours en pourparlers avec les Américains et les Britanniques sur une coopération dans le Sud de l’Afghanistan."
"Un initié proche du gouvernement part du principe que le rapport du MIVD peut compliquer le processus décisionnel et il s’attend à ce que Kamp ne prenne pas à la légère un rapport critique du service."
Pays-Bas - Soudan
Le Volkskrant (p.3) annonce que les Pays-Bas enverront quelques dizaines de militaires et de policiers dans le Sud du Soudan pour veiller au respect d’un accord de paix entre les rebelles et le gouvernement de Khartoum. Selon le PvdA, il s’agit d’une "percée" louable, parce que le gouvernement, jusqu’à présent, avait refusé d’envoyer des groupes d’infanterie en Afrique, sous le pavillon des Nations Unies.
Le gouvernement décidera aujourd’hui de l’engagement de ces militaires sans armes, qui feront partie d’une mission européenne d’observateurs forte de 750 hommes, qui sera protégée par des milliers de militaires africains.
ACTUALITE INTERIEURE
Référendum
"Le VVD refuse de soutenir des propositions de la Deuxième Chambre visant à introduire un référendum", relève le Volkskrant dans son grand article à la une. "Il n’y aura donc pas de consultation de l’électorat pendant les prochaines années. C’est un revers pour le ministre D66 Pechtold (Rénovation administrative)."
"Le PvdA, GroenLinks et le D66 ont déposé deux projets de loi référendaires. Le soutien du VVD à la Deuxième Chambre est indispensable car le CDA et les petits partis protestants s’opposent au référendum."
"Des sources à la direction du VVD ont fait savoir jeudi que le groupe parlementaire ne peut approuver aucune des deux propositions et qu’il n’en déposera pas lui-même. Le leader du groupe, Van Aartsen, est partisan du référendum, certes, mais il veut d’abord en débattre au sein du parti. Le référendum pourra alors figurer au programme électoral du VVD. Ensuite, une nouvelle coalition pourra décider de son introduction lors de la formation de gouvernement en 2007. Il faudra cependant suivre pour cela la ’voie royale’ : une modification de la Constitution. Etant donné qu’une telle modification requiert toujours deux votes, avec des élections entre les deux tours, les Néerlandais ne pourront s’exprimer par référendum qu’après 2011 au plus tôt."
"Les élus ne doivent pas organiser des référendums, ils doivent représenter leurs électeurs", remarque le chroniqueur Ronald Plasterk en page d’opinion du journal de centre gauche. "Et ils peuvent très bien adopter de temps à autre une position qui n’est pas partagée par tous leurs électeurs."
SGP
Le parti réformé SGP, qui risque d’être privé de la subvention que l’Etat néerlandais accorde aux partis politiques à la suite d’une décision du tribunal de La Haye, prépare des collectes pour subvenir à ses besoins financiers.
Le tribunal a décidé récemment que l’Etat devait mettre fin à la subvention du SGP tant que ce parti refuse d’accueillir les femmes comme membres à part entière. Le ministre de l’Intérieur Remkes a fait appel contre cette décision, mais en attendant le jugement en appel il mettra fin à la subvention de 800 000 euros par an, à partir du 1er janvier 2006 (NRC Handelsblad d’hier soir p.1, de Volkskrant p.3, Trouw p.4).
PRESSE HEBDOMADAIRE
Elsevier titre en page de couverture "Chacun son cheval". "Là où les vaches paissaient naguère se promènent maintenant des chevaux - quelque 400 000 déjà. Autour de l’ancien hobby de l’élite prospère une industrie allant des loueurs de chevaux aux horse whisperers. Comment le ’tracteur vivant’ est devenu un animal de compagnie. Plus : le coût d’achat et le coût d’entretien d’un cheval."
Olivier van Beemen, correspondant à Paris du magazine conservateur, note que l’Institut Néerlandais a été bombardé de courriels agressifs et a fait l’objet d’une protection spéciale pour avoir invité un historien controversé, Olivier Pétré Grenouilleau, à un débat sur la traite des esclaves. A propos des désordres dans les banlieues, il souligne que "’Sarko’ reste populaire" : "Contrairement aux médias progressistes, une majorité du peuple français apprécie le comportement law and order du ministre Nicolas Sarkozy."
Dans sa chronique politique, Syp Wynia évoque les liquidations de gangsters à Amsterdam. "Il s’est formé un Etat dans l’Etat, dans lequel circule beaucoup d’argent et où la violence tient lieu de droit. L’Etat a permis cette évolution et a ainsi sapé son propre droit à l’exercice du monopole de la violence et de la perception d’impôts." Ce n’est pas un hasard si le trafic de drogue joue un rôle-clé dans ces liquidations, selon Wynia. "Les autorités néerlandaises, dans ce domaine, ont appliqué les trente dernières années une politique beaucoup plus souple que d’autres pays, de sorte que les Pays-Bas sont devenus un centre mondial de production, de transport, de distribution et de blanchiment."
Vrij Nederland prévoit la prochaine chute du sénateur GroenLinks Sam Pormes. Celui-ci a bel et bien suivi un entraînement de guérillero dans un camp palestinien au Yémen, dans les années soixante-dix, selon l’hebdomadaire progressiste. "C’est la conclusion que tirera une commission GroenLinks d’un rapport sur Pormes qui paraîtra le 21 novembre, disent des sources fiables. Pormes a toujours nié avoir été au Yémen. C’est justement cette dénégation qui le perdra." "La crédibilité du sénateur d’origine moluquoise est en jeu parce qu’il a toujours systématiquement nié avoir jamais été au Sud-Yémen."
"Les Tigres Tamouls sont une des organisations terroristes les plus violentes du monde", écrit Harm Ede Botje. "Il y a deux mois ils ont assassiné le ministre des Affaires étrangères du Sri Lanka. Pourtant ils peuvent faire ce qu’ils veulent aux Pays-Bas. Les Tamouls y font l’objet de rackets pour remplir les caisses de guerre du mouvement."
"Les désordres en France sont un problème européen et réclament une solution européenne", selon Pieter van den Blink.
HP/De Tijd reprend un article du publiciste britannique Theodore Dalrymple sur les banlieues françaises paru dans The Wall Street Journal, en précisant que l’auteur vit en France.
"Il est tentant de voir dans la rébellion dans les banlieues de Paris le coup de grâce pour le modèle français, qui s’affiche comme alternative au dur capitalisme ’anglo-saxon’, écrit Dirk-Jan van Baar de son côté, dans sa chronique. "Mais de tels clichés ont davantage de signification pour le monde extérieur que pour les Français eux-mêmes. Toutes ces histoires d’identité relèvent de la théorie, elles sont une illusion d’intellectuels dont l’homme de la rue n’a cure. Le prestige de la France a souffert, mais cela ne change pas grand-chose à la réalité quotidienne." "Je ne pense pas qu’on puisse reprocher à la France d’être arrogante, cela fait partie d’une grande nation. Ce qui est plus grave, c’est l’hypocrisie naturelle avec laquelle les Français ont construit leur propre logique, inimitable pour le monde extérieur ! C’est ce qui les rend à la fois exceptionnels et incorrigibles." Le chroniqueur veut parler de "l’idéologie républicaine" qui "connaît une stricte séparation de l’Eglise et de l’Etat et ne reconnaît pas les minorités culturelles ou ethniques".
On retiendra aussi un portrait de la ministre de l’Intégration Rita Verdonk, "aimée, abhorrée, menacée", "la personnalité politique la plus controversée des Pays-Bas". "Rita Verdonk fait quelque chose que ses prédécesseurs masculins n’osaient pas faire. Elle fait comprendre que pour beaucoup de migrants il n’y a plus de place. Verdonk ignore ce faisant le réflexe traditionnel chrétien - celui du charitable Néerlandais qui s’occupe des étrangers. Et elle le fait régulièrement d’une manière provocante."
AFFAIRES FRANÇAISES
Outre un article factuel sur l’émoi suscité parmi l’opposition et les organisations antiracistes par une remarque du ministre de l’Emploi Larcher et du député Accoyer concernant la polygamie dans les banlieues (Trouw p.3), on retiendra un papier sur l’exposition Paris Photo 2005 au Carrousel du Louvre (de Volkskrant p.14), que Merel Bem juge "sans âme", mis à part quelques petites présentations.
Le Telegraaf (p.5) s’émeut du sort d’un camionneur hollandais arrêté par la douane française, avec pour plus de deux millions d’euros de haschisch dissimulé à son insu dans ses palettes : "Libre, avec les excuses du juge français".